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Malika Séguineau : "La force de Proscenium réside dans la richesse des échanges"

En 2014, les 12 membres du conseil d’administration du Prodiss (union du spectacle musical et de variété), ont créé Proscenium, le think tank spectacle et numérique. Alors que son premier conclave s’est tenu au début de l’année, Malika Séguineau, secrétaire générale du Prodiss, nous dit tout sur ce qu’est et ce que fait ce tout nouveau laboratoire d’idées.

Pouvez-nous donner votre définition d’un think tank, du moins celle qui “guide” l’action et les propositions de Proscenium ?

Chaque think tank a ses propres modalités de fonctionnement et objectifs. Pour nous, à Proscenium, les axes essentiels sont ceux du travail et de l’ouverture, avec un mot d’ordre : "penser et agir ensemble".

Nous fonctionnons en cycles de travail, en trois temps : d’abord, une réflexion "en commun", impliquant les acteurs des industries culturelles et du numérique ; puis un travail de prospective confié à des chercheurs à partir des réflexions menées ; enfin, des propositions d’actions découlant des deux premiers temps.

Nous menons deux cycles de réflexions — les "conclaves" — tous les ans. Le premier cycle de Proscenium, de février à avril 2015, a réuni plus de 70 personnalités. Elles ont pensé, confronté leurs idées, et travaillé ensemble sur les champs du possible à horizon 2025 pour la culture et le numérique. Le fruit de ce travail a fait l’objet d’une restitution à l’Assemblée Nationale le 14 avril dernier. Les travaux de prospective ont quant à eux été menés par l’IRI (Institut de Recherche et d’Innovation), sous la houlette de Vincent Puig, directeur associé de l’Institut.

Qu’est-ce qui fait la force de Proscenium ?

Elle réside dans la collaboration et l’échange d’idées entre des sphères complémentaires. Chercheurs, experts, start-ups, entrepreneurs de spectacles, TPE innovantes, représentants d’organismes publics et privés et acteurs du numérique ont produit une matière aussi riche d’enseignements que de questionnements.

Lors de ce premier cycle, des axes de réflexions ont été construits autour des enjeux liés aux Big Data, aux mutations liées à de nouvelles réalités augmentées, aux captations et à l’ensemble des nouvelles exploitations du spectacle vivant. Nous nous sommes également particulièrement intéressés aux synergies entre acteurs culturels et du numérique, ainsi qu’à l’impact du numérique sur les métiers de la filière et du statut de l’artiste.

Qu’est-ce qui a décidé Prodiss à lancer son propre think tank ?

Deux constats d’évidence. Tout d’abord, le fait que la technologie numérique transforme profondément les pratiques artistiques et culturelles, non seulement des artistes et des gens de lettres, mais aussi du public. En conséquence, penser le spectacle dans sa dimension numérique, réfléchir à la position de nos entreprises, des artistes et du public dans ce schéma est une évidence.

En effet, si la scène a toujours constitué un espace privilégié permettant la rencontre entre l’artiste et le public, ainsi qu’un vecteur de promotion artistique, le concert est longtemps resté un produit dérivé du disque. Aujourd’hui, il est non seulement devenu un canal essentiel de revenus mais également le lieu central de découverte des artistes et de développement de leur carrière. Outre ce poids croissant dans l’industrie musicale, l’économie du spectacle vivant est à son tour directement affectée par le numérique : utilisation des réseaux sociaux, modernisation de la billetterie, importance des métadonnées pour créer et entretenir le lien avec le public, nouvelles interactions pendant les spectacles…

En 2013, des premiers travaux d’étude ont été réalisés par le Prodiss quant à l’impact du numérique sur notre secteur, en partenariat avec les cabinets IDATE et Items. Ce premier socle de réflexion a permis de définir les principaux enjeux pour la scène, et de clairement démontrer les points de rupture générés par le numérique, et le potentiel de la valeur créée, ou pouvant l’être, notamment pour la captation.

Cette création nouvelle de valeur constitue un véritable levier économique, social et culturel pour le secteur et les industries culturelles au sens large, dynamique au sein de laquelle les entrepreneurs de spectacles souhaitent pleinement s’impliquer.

Et le deuxième constat ?

Il faut ouvrir ces réflexions à l’ensemble des industries culturelles et créatives et les partager avec les acteurs du numérique et de l’innovation. Il ne faut pas reproduire les schémas d’opposition issus de la crise du disque : ce temps de cloisonnement entre le numérique et la musique a constitué un véritable frein économique. Nous devons collaborer étroitement avec les start-up innovantes, afin de renverser le déséquilibre contraint dans lequel nous nous trouvons, face aux géants du net. Nous ne devons plus être seulement impactés par le numérique, mais en relever les défis.

Qui fait partie de Proscenium ?

Outre les membres du Prodiss, le syndicat a souhaité associer pleinement Proscenium à deux partenaires naturels : le CNV et le Groupe Audiens. Par ailleurs, la nature du think tank étant celle de l’ouverture, au fil des travaux menés et des sujets traités, des acteurs issus d’horizons variés participent : experts, chercheurs, entreprises innovantes, entrepreneurs de spectacles, artistes, acteurs de l’industrie musicale, du spectacle, politiques…

Proscenium a consacré son premier conclave à l’impact du numérique sur le spectacle vivant. Qu’en est-il ressorti ?

Nous avons abouti à six pistes de réflexion :

1) Le Big Data, futur moteur de l’économie de la culture

Le numérique produit une quantité colossale de données, dont chacun est convaincu qu’il est temps de chercher à tirer parti. Mettre le traitement de ces données au service du marketing, des ventes, de l’optimisation de la relation client, ou encore du développement de nouveaux services et expériences, sont autant de préoccupations ressorties des ateliers préparatoires. En amont, se pose la question des modalités de partage et de mutualisation de cet “or noir” de l’âge informationnel, avec toutes les questions à prendre en compte en matière de respect de la vie privée et de protection des données personnelles. En aval, se pose celle des capacités de raffinage et de traitement de cette masse d’informations.

2) De nouvelles réalités augmentées et une expérience enrichie de la culture

Mondes virtuels, expériences immersives, personnalisation de masse, recommandation géolocalisée… Notre manière d’appréhender l’art et la culture deviendra de plus en plus virtuelle, immersive, interactive, personnalisée et augmentée à l’avenir. Au risque de nous isoler un peu plus ? Il faudra aussi savoir recréer de nouvelles communautés d’expérience, et conserver une mémoire de l’expérience culturelle vécue.

3) Captation, User generated content (UGC) : les nouvelles exploitations du spectacle vivant

De nombreux bénéfices économiques, sociaux et culturels, découleront d’une offre riche et diversifiée de spectacles en ligne. L’offre actuelle est déjà très variée — 21 % des vidéos musicales postées sur Youtube, soit près de 80 millions, sont des captations de concerts — mais fort disparate et très mal référencée. Elle repose en grande majorité sur des contenus non officiels et est encore très peu monétisée. De nouveaux modes d’exploitation des captations de concerts et spectacles se développeront sur Internet et sur l’ensemble des nouveaux médias, des chaînes Youtube à la télévision connectée, en passant par les salles de cinéma.

4) Places de marché électroniques, services web et applications métier : ouvrir le champs des possibles

De nombreux logiciels et services web offrent des applications métier clé en main aux professionnels du spectacle vivant. D’autres fournissent des outils analytiques permettant de transformer les Big Data en provenance du web et des réseaux sociaux en opportunités d’affaires ou commerciales. Certaines logiques de plateforme B2B ou de places de marché électroniques peuvent par ailleurs être très structurantes pour le secteur.

5) Favoriser les synergies entre acteurs culturels et numériques

Favoriser l’innovation, c’est d’abord favoriser les rencontres, la coopération et les synergies entre le monde de la création et celui du numérique. Ces dernières se manifestent notamment lors des Music Hack Days, comme ceux de Londres, Paris, Barcelone ou Boston. L’émergence de clusters, incubateurs, activateurs et autres couveuses d’entreprises à travers tout le territoire peut participer à une territorialisation de cette dynamique, et à une relocalisation de l’économie de la culture.

6) Le numérique impacte les métiers de la culture et le statut de l’artiste

Historiquement intégrées dans des structures verticales oligopolistiques et fortement hiérarchisées, les industries culturelles font face à un changement de paradigme qui voit leur économie s’organiser de manière beaucoup plus horizontale et en réseau. Le périmètre des métiers et le champ des compétences s’élargit. De nouveaux acteurs apparaissent. De nouvelles stratégies de développement sont couronnées de succès.

Quel sera le prochain grand thème étudié par Proscenium ?

Tout d’abord, nous allons publier en mai le livre blanc de nos premiers travaux, associé aux réflexions prospectives de l’IRI, que vous pourrez retrouver sur notre site. Puis, en novembre 2015, le second conclave se tiendra autour de la thématique du travail.

Merci à Malika Séguineau pour ce témoignage !

Crédits image à la une : Flickr/Focka